Ecrit par :
Olivier Cambray


1 mars 2019

L’administration fiscale ne lâche jamais rien  et lorsqu’elle sort par la porte, il n’est pas rare de la voir réapparaître par la fenêtre !

 

Les médias se font l’écho régulièrement de la fraude fiscale et certains vont même jusqu’à la chiffrer à des dizaines de milliards sans que l’on connaisse d’ailleurs les modalités précises du calcul.

 

C’est vrai qu’une minorité abuse mais ce qui est dommage c’est qu’au final tout le monde paye par l’accumulation de textes répressifs de lutte anti-fraude.

 

Du principe antérieurement admis du contribuable a priori honnête, on est passé progressivement au principe du potentiellement fraudeur à charge pour lui de démontrer qu’il ne l’est pas.

 

Cette suspicion ambiante est certainement à l’origine du mini abus de droit dont le principe a été adopté par la loi de finances pour 2019 et qui entrera en vigueur le 1er janvier 2020.

 

L’article L. 64 du Livre des procédures fiscales (LPF) définit l’abus de droit comme suit :

 

«Afin d’en restituer le véritable caractère, l’administration est en droit d’écarter, comme ne lui étant pas opposables, les actes constitutifs d’un abus de droit, soit que ces actes ont un caractère fictif, soit que, recherchant le bénéfice d’une application littérale des textes ou de décisions à l’encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ils n’ont pu être inspirés par aucun autre motif que celui d’éluder ou d’atténuer les charges fiscales que l’intéressé, si ces actes n’avaient pas été passés ou réalisés, aurait normalement supportées, eu égard à sa situation ou à ses activités réelles ».

 

La procédure de l’abus de droit fiscal peut être mise en œuvre par l’administration fiscale si elle estime que le contribuable (entreprise ou particulier) s’est organisé frauduleusement pour rechercher une optimisation fiscale.

 
Il fallait pour que la procédure pour abus de droit puisse prospérer (avec à la clé des majorations de 80% de l’impôt éludé) qu’il soit démontré que le montage contesté ait été mis en place à des fins exclusives d’allègement de l’impôt.


La démonstration d’un but exclusivement fiscal n’est pas facile et l’administration cherche depuis plusieurs années à étendre le dispositif à des situations qui ne seraient pas à but exclusivement fiscal mais principalement fiscal et là cela change la donne !


Cette notion de « motif principal » satisfait le souhait  formulé depuis longtemps par l’administration fiscale, qui avait déjà cherché en 2013 à faire adopter cette définition très extensive de l’abus de droit fiscal. 


Le Conseil Constitutionnel avait le 29 décembre 2013 censuré cette disposition comme trop imprécise et d’application imprévisible. 


Ce qui a été retoqué par le Conseil Constitutionnel en 2013, ne l’est plus en 2019 certes par l’adoption d’un abus de droit de seconde zone (mini abus de droit) qui n’est assorti que de pénalités pouvant aller jusqu’à 40% (manquement délibéré ) et non de 80% (manœuvres frauduleuses). Ce mini abus de droit est codifié à l’article L 64 A du code de procédure fiscale.


Or l’application de ces pénalités est susceptible de déclencher des poursuites pénales pour fraude fiscale. En vertu de la loi anti-fraude du 23 octobre 2018, sont désormais transmis automatiquement au parquet les dossiers de contrôle fiscal dans lesquels ont été appliquées des pénalités de 80 %, ou bien, en cas de récidive, des pénalités de 40 % (pour des manquements fiscaux supérieurs à 100 000 €). 


Nous entrons donc dans une période  inquiétante où un contribuable pourrait se retrouver en correctionnelle pour avoir réalisé des actes qui sans être frauduleux l’auront conduit dans la gestion de ses affaires à choisir des solutions  les moins onéreuses fiscalement parlant. 


Et ces actes sont légion dans la vie courante des particuliers et des dirigeants d’entreprise.


Ce nouveau mini abus de droit à caractère fiscal risque de bouleverser bien des décisions de gestion patrimoniale et d’investissement. 


Entre deux opérations produisant les mêmes effets juridiques, mais dont le traitement fiscal diffère faudra-t-il  choisir la plus imposée, pour ne pas tomber sous les fourches caudines du mini abus de droit fiscal (le choix de l’opération la moins onéreuse ayant vraisemblablement pour l’administration fiscale un motif principal d’atténuation de la charge fiscale) ?  


Il faudra a minima bien argumenter et justifier les raisons autres que fiscales (raisons principales) qui ont enclin le contribuable à choisir la solution la moins coûteuse fiscalement parlant.
 
Mais qui sait définir précisément ce qui dans une décision a été l’élément principal ?  


Cela laisse beaucoup de place à l’interprétation et donc à de possibles redressements aux lourdes conséquences.


Faudra-t-il recourir au rescrit c’est-à-dire obtenir une validation préalable de l’administration fiscale  pour toute opération susceptible de générer une économie fiscale ?


Tout cela est bien flou : et quand c’est flou c’est qu’il y a un loup !